• Identité sonore, nouvelle forme de design


    Chez Toni & Guy, un DJ rythme votre coupe de cheveux.

    La bande-son de nos vies


    Restaurants, magasins, hôtels, gares, ont de plus en plus recours à des professionnels pour composer leur identité sonore. Enquête sur cette nouvelle forme de design.
    La musique est-elle un art décoratif ? Peut-elle être utilisée au même titre qu'une paire de rideaux, un tapis, un coussin, un encorbellement, un crépit, une échauguette ? On pourrait croire que non, mais, depuis plusieurs années, la vogue du «design sonore» tend à faire de l'harmonie un artefact.

    D'une certaine manière, avec opéra, ballet ou chanson, la musique devenait le faire-valoir d'une intrigue, d'un drame ou d'un texte. Mais il y avait encore égalité des chances : «Prima la musica» ou «Prima le parole» ? Dilemme ancien et jamais résolu.

    Dans le cas de la musique d'ascenseur, des pianos d'hôtel, des haut-parleurs dans la rue, les grandes surfaces, sur les plages ou les pistes de ski ; dans le cas des fameuses compilations de Béatrice Ardisson et des mélodies d'aéroport, les notes de la gamme sont devenues partie intégrante de notre paysage auditif, tout comme le chant des oiseaux ou le bruit du vent.

    La musique est désormais soumise aux lois de temps, du lieu, de l'humeur. Car on la compose - ou on l'arrange - pour qu'elle se modèle sur une ambiance, mais jamais ne la crée. Du paysage naît la musique, et non l'inverse. C'est le Chesterfield qui appelle le jazz étouffé, tout comme les rayonnages du Cora de Creil appellent les disques de Florent Pagny...


    Paradoxalement, c'est en se démarquant - en se dépersonnalisant - que la musique devient un organe à part entière. Désormais, la musique est partout car nous l'avons rendue naturelle. Elle n'est plus luxe ni choix : elle est évidence. On ne la distingue même plus, et il faut une certaine dose de concentration pour remarquer ici un solo de guitare, là un rythme de mérengué. Nous l'avons absorbée, phagocytée, et elle fait partie de notre constitution, pour ne pas dire de notre physiologie.

    C'est alors le silence qui choque et qui insulte...


    "Qu'on le veuille ou non : le futur est dans le tympan. Le XXIe siècle sera celui de l'Ecoute, ou il ne sera pas !" Nicolas d'Estiennes d'Orves


    Designers sonores : gourous du tympan
    Fondateur de l'unité de design sonore à l'Ircam et musicien (il a notamment composé la musique du film Homo sapiens, diffusé sur France 3), Louis Dandrel présente le design sonore de la manière suivante : «C'est une profession qui consiste à concevoir des sons utiles. On pourrait la définir avec la devise d'un des pères du design, Raymond Loewy : "Form follows function" (la forme découle de la fonction). Ce qui n'exclut pas la dimension esthétique. Aujourd'hui, ce métier a de multiples applications. Architecturales : un espace "s'accorde" comme un instrument de musique. Une gare, par exemple. Le designer sonore s'applique à domestiquer tous les sons émis par les usagers, le passage des trains, les annonces vocales. Veille à ce que les bruits gênants soient absorbés - par des matériaux de construction, des doubles parois, etc. -, et les sons utiles clarifiés ou amplifiés. J'entends par "son utile" les signaux sonores. Quand j'ai créé celui de la SNCF, j'ai dû résoudre des problèmes techniques : éviter la réverbération sonore, permettre une perception nette dans toute la gare. Interviennent aussi les facteurs de fonctionnalité : pour obtenir une intelligibilité optimale, il fallait bannir la mélodie et favoriser la neutralité. Concevoir la sonnerie d'un téléphone ou le vrombissement d'un moteur participe aussi du design sonore. Enfin, le décryptage sociologique d'un son (une porte qui claque, un soupir, un bruit de pas), en est encore une autre forme. Attention aux confusions cependant. Tout d'abord avec l'art, mais aussi avec la communication et le marketing. On entre alors dans le frivole. Faire passer pour "design" un DJ dans un magasin, c'est une véritable imposture.»
    Propos recueillis par Astrid Eliard

    Lady Ardisong
    Tout le monde en parle, de Béatrice Ardisson. Du moins, tout le monde l’écoute. Restaurants, hôtels et magasins en vue s’arrachent le logiciel de diffusion de sons design
    qu’elle a créé avec un ingénieur informatique, Olivier Saunier. Le principe de ce Sound Design System : en échange du paiement d’une licence (de 3 000 € à 5 000 € en moyenne) et d’une redevance annuelle, lady Ardisong vous fournit une ambiance musicale personnalisée qu’elle confectionne elle-même à partir de reprises et de créations de DJ. Vous pouvez gérer cette bande-son à partir d’un boîtier ou bien directement sur internet. Une quinzaine d’enseignes prestigieuses diffusent déjà sa musique : les hôtels Bristol et Crillon (Paris), Métropole (Monaco), le restaurant Kong, le Groupe Barrière, les magasins Sephora, le Drugstore Publicis et Vuitton au Japon. « J’ai constitué une base de données de plus de 20 000 titres, confie Béatrice Ardisson, dont 9 000 qui tournent en sound design. Les thèmes sont très variés : cela va du black power à la sugar pop, en passant par le jazz et le swing, très à la mode en ce moment. » Parallèlement, la reine de la reprise continue à assurer l’habillage sonore de « Paris dernière », l’émission créée par son époux sur Paris Première (dont les compilations s’arrachent chez les disquaires). Et elle ne manque pas de projets : un disque pour Sephora, des musiques de films, le développement de la collection Mania chez Naïve et, peut-être avant la fin de l’année, le lancement d’un juke-box nouvelle génération.
    Renseignements :
    contact@ardisong.com

    Le marketing du son
    Dans la publicité, le grand public retient plus les sons
    que les images, constate Christian Blachas, producteur
    de « Culture Pub » et directeur de CB News. Partant de ce principe, les marques soignent leur identité sonore. Une campagne de publicité réussie, c’est un jingle qui devient un tube. Ainsi, le petit air de « Chambourcy, oh oui ! », un des premiers succès du genre. Designer sonore à l’agence Capitaine Plouf, Guillaume Le Guen confirme la nouvelle exigence des marques en matière de son. A titre d’exemple, Peugeot travaille le bruit des portières et celui des moteurs (qui ne vrombissent pas mais soufflent). Macintosh porte le plus grand soin à ses signaux d’erreur ou d’enregistrement. S. T. Dupont surveille le « cling ! » cristallin des briquets de luxe qu’il fabrique. Au bout de la chaîne de production, des « madames Cling ! » testent le son d’ouverture des briquets. A leur tour, les grandes
    enseignes succombent au marketing sonore. L’institut Lancôme a confié à l’agence Sixième Son le travail d’habillage musical de son espace. Ainsi, des créations cohérentes avec les valeurs de la marque (par exemple, la féminité, que l’on retrouve dans des musiques douces) sontelles diffusées dans la boutique, l’espace parfums
    et même le spa. Au Printemps de l’Homme, l’ambiance est urbaine et la musique très différente des autres étages du magasin. Chez Toni & Guy, chacun doit se sentir chez soi.
    Les coiffeurs programment donc des musiques qui varient
    selon les salons : hype, lounge ou underground. On évoque là un « marketing sonore sauvage », en adéquation avec la culture de l’entreprise. Pour goûter au silence, mieux vaut rester chez soi.

    Concert téléphonique
    Amoins d’apprécier la version flûte de pan des Quatre Saisons ou la Lettre à Elise massacrée à l’orgue Bontempi, l’attente téléphonique est souvent synonyme de supplice. « La musique est souvent le détail qui gâche tout. Si celle-ci n’est pas appropriée, c’est l’image de toute l’entreprise qui peut en pâtir », affirme Fabrice Aristaghes
    de L’Oreille Cassée *, l’une des sociétés qui a compris qu’entre deux interlocuteurs, le combiné peut susurrer bien des choses. Du sur mesure ! D’agréables mélodies
    composées par de vrais musiciens, voilà ce qu’il propose. « Nous traduisons en musique les valeurs que l’entreprise désire exprimer, ce qu’elle veut montrer d’elle-même : la
    jeunesse, le dynamisme, l’environnement, la famille… », explique-t-il. Son art se rapproche du graphisme, il
    travaille la matière sonore pour la rendre expressive. Résultat : l’attente, par définition non désirée, devient très supportable.

    La science des stimuli
    Quels sons perçus à l’intérieur d’une voiture peuvent lui conférer une aura de puissance ? Quelle hauteur de notes choisir pour qu’un jingle d’aéroport soit agréable à l’oreille et parfaitement perçu malgré le brouhaha ? Quel type de sonnerie permet de localiser le plus rapidement possible un portable enfoui au fond d’un sac ? Ces questions inhérentes au design sonore ont leurs spécialistes : les psychoacousticiens. Science de la perception des sons, la psychoacoustique étudie les relations entre les stimuli sonores et les sensations qu’ils provoquent. A partir de mesures scientifiques et de tests physiques et psychologiques sur des « auditeurs », elle traque le son parfait : audible, adapté à la situation d’écoute, plaisant. Et, de façon plus enfouie, le plus proche possible de l’image mentale que l’objet est censé véhiculer.

    Paris dans votre oreille
    Lounge, ambiant, chill out… Autant d’appellations sibyllines pour le profane. Ces termes témoignent des diverses déclinaisons de la nouvelle musique d’ambiance. Il s’agit d’une musique électronique tranquille et soyeuse, à écouter en fond sonore pour se détendre. Les endroits chics parisiens l’ont adoptée pour son côté soft, son élégance à la mesure de leur image. Surfant sur la vague techno, beaucoup possèdent d’ailleurs leur DJ maison, ambassadeur de l’esprit du lieu. Initié par le Cafe Del Mar, du café du même nom à Ibiza (plus de 9 millions d’albums vendus), les premières compilations lounge apparaissent en 1999. Le phénomène est suivi par l’Hôtel Costes à Paris, le Buddha Bar, le Kong, les compilations Saint-Germain ou Paris Lounge, qui développent le même concept : restituer l’ambiance qui règne dans un lieu. Sur un total de sept volumes, l’Hôtel Costes s’est vendu à 1,8 million d’exemplaires, dont une grande part à l’étranger. Cet engouement exceptionnel se fonde sur la notoriété des lieux concernés. Avec son cortège de stars, l’Hôtel Costes représente une certaine image de la France glamour. La compilation véhicule alors une émotion unique, chargée de symboles et de souvenirs. Un choix inattendu face à la classique tour Eiffel porte-clefs.

    Des stages pour s’initier
    L’Ircam propose des stages de design sonore. Du 14 au 16 février, à destination des musiciens, compositeurs et concepteurs sonores ; et du 22 au 25 mars pour les industriels et les architectes intégrant le son dans leurs projets (1, place Igor-Stravinsky, 75004 Paris ; 01.44.78.48.43).

    Figaro Magazine

    05 février 2005


  • Commentaires

    1
    marco
    Vendredi 29 Septembre 2006 à 12:02
    Identité sonore
    J'ai accompagné ma copine chez Lancôme et j'ai immédiatement trouvé que ce lieu "sonnait" differement des autres. je trouve que le travail de lancôme sur cette dimension sonore est assez génial, en particulier, quand on entre à droite, il y a un meuble avec des parfum qui résonne de façon très agréable et très surprenante.
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