• Le nouveau livre de David Lodge : « L'auteur ! L'auteur ! »,

    David Lodge : cet ancien professeur de littérature a connu un succès mondial avec « Un tout petit monde ». Il publie « L'auteur ! L'auteur ! », consacré aux rapports de Henry James avec le théâtre.  
    Photo Catherine Rebois/Le Figaro Magazine.

    David Lodge, pour saluer Henry James

    Au premier coup d'oeil, le nouveau livre de David Lodge est une biographie romancée de Henry James. En réalité, c'est une étude fouillée des rapports de l'auteur avec la création. Et une satire de la profession et de ses travers.

    Dans un coin de son bureau, il y a une affiche annonçant les représentations de The Writing Game, une pièce de David Lodge qui fut donnée au théâtre de Birmingham en 1990. Elle pourrait être en évidence sur le mur, mais a été posée discrètement, entre d'autres trophées décrochés par l'écrivain au cours de sa longue carrière. Mieux qu'un long discours, elle symbolise l'histoire d'amour inachevée entre Lodge et le théâtre : il s'y est risqué il y a quelques années, a reçu un accueil poli de la critique au public. Sans plus. A aucun moment le romancier d'Un tout petit monde n'a senti que celui du spectacle lui ouvrait ses portes et l'adoptait. West End, le quartier des théâtres de Londres, la consécration des dramaturges, lui fut refusé.
    Jamais il ne fut appelé sur le proscenium comme c'était la tradition jadis au Royaume-Uni quand le public scandait « Author ! Author ! » pour lui signifier son contentement.
    Ne serait-ce que parce que cette pratique s'est éteinte dans les années 60. Pour David, il y aura toujours loin de la loge à la scène.

    Alors sur la pointe de la plume, l'écrivain s'est retiré de l'affiche et est retourné à ses chères études littéraires. Il y est toujours et, après une rafale de romans drôles,
    tableaux au vinaigre d'une époque béate, il rappelle aujourd'hui à ses lecteurs qu'il fut un brillant professeur de littérature à l'université de Birmingham. Quelques semaines après la Grande-Bretagne, Lodge publie en France L'auteur ! l'auteur ! * – titre dont on comprend maintenant l'ironie. Pour la première fois avec Lodge, on quitte le
    monde contemporain pour la fin du XIXe siècle à la rencontre de Henry James.

    Mais l'on reste dans le roman, préféré à la biographie : le genre autorise toutes les libertés, ainsi qu'il s'en excuse à la fin de l'ouvrage, avouant quelques-unes de ses inventions plus vraies que nature (rencontre de James avec la toute jeune Agatha Christie, etc.). Dans sa maison
    d'Edgbaston, une banlieue résidentielle de Birmingham, David
    Lodge parle de son livre avec un flegme aimable : « Il y a dix ans, une télévision m'a proposé d'adapter le succès de George Du Maurier, Trilby. J'ai finalement refusé mais, en m'intéressant au projet, j'ai découvert l'amitié très forte entre Du Maurier et James. »

    Et aussi les déceptions que l'écrivain angloaméricain connut au cours de sa carrière littéraire : voilà un homme qui écrivit des nouvelles pour la postérité plus que pour ses contemporains, que les succès rapides des Mary Ward ou Rider Haggard navrèrent jusqu'à l'aigreur, et qui s'échina à écrire pour le théâtre ; entre Lodge et James naquit soudain une solidarité, celle des éconduits de Thalie.

    Wilde et James en concurrence sur scène


    Quelle mouche pousse donc l'écrivain au théâtre ? L'envie de changer de genre, de s'adonner à un exercice plus ramassé. Il y a autre chose que l'auteur de Home Truths
    confesse volontiers : « Connaître l'assentiment immédiat du public est pour un écrivain qui travaille seul face à sa table de travail une satisfaction sans égale. » La lecture du roman de Lodge donne quelques clés pour comprendre l'échec de James : ce riche Américain en séjour en Europe vivait en patricien, éloigné du public et des goûts de son temps : « Il écrivait des pièces conçues sur le modèle de celles qu'il avait vues à la Comédie-Française quand il vivait à Paris », s'amuse Lodge. Le décalage entre James et le théâtre de son temps est admirablement mis en scène dans L'auteur ! l'auteur !. Lodge superpose la première de Guy Domville et celle d'Un mari idéal d'Oscar Wilde. Pendant la première de sa pièce, au théâtre Saint-James, H. J., comme il l'appelle, a l'idée saugrenue d'aller assister à celle de son rival, au Haymarket.

    Peut-on concevoir pareil supplice : découvrir un chef-d'oeuvre d'humour quand on fait représenter sa propre pièce et que l'on brûle dans les affres de l'incertitude. A la fin de la pièce de Wilde, l'auteur de Guy Domville se précipite au Saint-James. Il surgit dans les coulisses sans entendre qu'à la réplique du dernier acte, « Je suis, mon
    Dieu, le dernier des Domville », une voix vient de rétorquer, du haut du poulailler : « Eh ben, tant mieux ! » C'est de bonne foi que lorsque retentissent les traditionnels « Author ! Author ! », sans se méfier, James
    s'avance sur la scène, aussitôt accueilli par une bronca que les amis de l'auteur ne parviennent pas à couvrir de leurs applaudissements.

    C'est un désastre : ni la pièce ni son auteur ne s'en relèveront. « Ironie du sort, remarque Lodge, ses romans et ses nouvelles ont fait après sa mort l'objet d'adaptations parfois très réussies pour le cinéma, la télévision et même l'opéra (le Tour d'écrou) ».



    Il voulait être le Balzac anglo-américain


    A la faveur de ce roman sur le « Grand Ecrivain », David Lodge s'interroge. Lui qui ne laisse rien transparaître, derrière son bow-window et sa pelouse impeccable, des états d'âme du créateur, dépeint avec légèreté l'égoïsme de James (qui laissa dépérir son amie « Fenimore », l'écrivain Constance Woolson), son égocentrisme (après l'échec de Guy Domville, il songea au suicide jusqu'à ce que la lecture du Times contenant l'éreintement de sa pièce ne l'avise qu'il existait plus malheureux qu'un écrivain incompris : l'article portait sur la dégradation en France d'un certain capitaine Dreyfus).

    Henry James s'est éteint pendant la guerre de 1914-1918 de laquelle allait naître un monde qui ne serait plus le sien : son ambition était d'être le Balzac anglo-américain,
    pas le Proust de Chelsea. Sur l'affiche de The Writing Game, dans le bureau de Lodge, on voit le dessin d'un homme un ordinateur à la place de la tête, à qui une admiratrice déclare : « Vous faites plus jeune que sur la photo. » Si le surgissement du siècle du progrès a pu décontenancer
    le pauvre James, il n'a fait perdre à David Lodge son proverbial sense of humour.

    * David Lodge, L'auteur ! L'auteur ! , traduit de
    l'anglais par Suzanne V. Mayoux, éditions Rivages,
    415 p., 21 euros.
    Les éditions Rivages publient aussi un recueil de
    trois nouvelles de Henry James, préfacé par David
    Lodge et traduites de l'anglais par Jean Pavans.

    ETIENNE DE MONTETY

    Le Figaro Magazine , 08 janvier 2005


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