• Le cerveau voit la peur les yeux dans les yeux

    Le cerveau voit la peur les yeux dans les yeux

    Neurosciences. Une hypothèse sur le mécanisme de perception des émotions.



    Amour ou peur, les émotions peuvent se reconnaître au premier coup d'oeil sur un visage. Par quel miracle ? Une étude publiée aujourd'hui dans Nature apporte des éléments nouveaux sur ce mécanisme qui permet de percevoir la peur dans le regard de l'autre. Menée par l'Américain Ralph Adolphs du California Institute of Technology (Caltech) de Pasadena, elle met en évidence le rôle joué dans ce processus par l'amygdale, une partie du cerveau en forme d'amande située dans une région profonde du lobe temporal, essentielle au décodage des émotions, et en particulier des stimuli menaçants pour l'organisme.

    Concentration. Il y a dix ans, le même Adolphs avait rapporté le cas d'une patiente, baptisée «SM», affectée d'une lésion bilatérale rare de l'amygdale, qui faisait preuve d'une incapacité étonnante à reconnaître la peur sur un visage. Depuis lors, l'importance de l'amygdale dans la perception des émotions manifestées par les expressions du visage a été prouvée par de nombreuses études. Mais le mécanisme par lequel une lésion de l'amygdale (soit génétique, soit entraînée par une maladie épileptique ou une chirurgie du cerveau) empêchait la reconnaissance de la peur n'avait pas été identifié. C'est en continuant à étudier le comportement de SM, cette patiente cobaye âgée de 38 ans, qu'Adolphs a pu résoudre ce mystère. Le problème de cette jeune femme viendrait d'une incapacité à se concentrer sur le regard de l'autre pour y décrypter une émotion. Or, les yeux sont la partie du visage la plus importante pour reconnaître la peur. Ils sont souvent grands ouverts quand ils traduisent l'effroi, et tout petits (plissés) quand le sujet sourit ou rit. Adolphs et son équipe de chercheurs en veulent pour preuve le fait que SM n'a plus aucun problème pour reconnaître la peur quand on lui ordonne de diriger son attention sur le regard de l'autre, palliant ainsi le rôle défaillant de l'amygdale. Les scientifiques américains ont cependant noté qu'elle ne pense pas d'elle-même à regarder les yeux ­ même après avoir été informée de l'utilité de cette démarche ­ et qu'il faut le lui rappeler à chaque fois.

    Un des rôles de l'amygdale serait donc de déclencher ce réflexe qui est d'aller voir tout de suite les yeux sur un visage pour reconnaître l'émotion exprimée. Et la perte de la reconnaissance de la peur après une lésion de l'amygdale serait due au fait que celle-ci n'est plus en mesure de diriger le système visuel pour rechercher l'information, et non à l'incapacité de décrypter cette information dans le regard. S'il suffit de rappeler au patient qu'il faut regarder les yeux pour y lire le message émotionnel, cette découverte pourrait permettre d'envisager de nouvelles approches pour traiter les sujets ayant des difficultés à percevoir les émotions, notamment les autistes.

    Réducteur. «Cette découverte est intéressante car elle donne à l'amygdale un rôle beaucoup plus moteur que ce que l'on imaginait», explique Patrick Vuilleumier, professeur de neurosciences à l'université de Genève, dont un article accompagne l'étude parue dans Nature. «L'amygdale ne serait pas seulement détectrice de stimuli émotionnels, elle aurait un rôle de déclencheur. Mais cette étude a suscité beaucoup de questions avant d'être publiée. N'est-il pas réducteur de limiter aux yeux la reconnaissance de la peur ?»


    Par Alexandra SCHWARTZBROD


    Libération, jeudi 06 janvier 2005

     http://www.liberation.fr/page.php?Article=266171  


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